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que leurs désirs. Ces alliances vulgaires, qui enrichissaient quelques membres de la noblesse, achevaient d’enlever au corps lui-même la puissance d’opinion qui, seule, lui restait encore.

On doit bien prendre garde aux motifs des hommes, avant de les louer de s’élever au-dessus d’un préjugé. Pour les juger, il faut se placer à leur propre point de vue, et non dans le point de vue général et absolu de la vérité. Marcher à l’encontre d’une opinion commune parce qu’on la croit fausse est assurément une chose belle et vertueuse. Mais il est presque aussi périlleux pour la moralité humaine de mépriser un préjugé parce qu’il est gênant que d’abandonner une idée vraie parce qu’elle est dangereuse. Les nobles avaient d’abord eu le tort de croire s’avilir en épousant les filles des roturiers ; et ensuite le tort plus grand peut-être de les épouser ayant cette croyance.

Dans le dix-huitième siècle, les lois féodales relatives à la substitution des biens, étaient encore en vigueur, mais elles n’offraient à la fortune des nobles qu’un faible abri.

Je suis tenté de croire qu’on s’exagère souvent l’influence qu’exercent ces lois. Je pense que pour produire de grands effets elles ont besoin de circonstances particulières qu’elles ne font pas naître et qui ne dépendent pas d’elles.

Quand les nobles ne sont point tourmentés du désir de s’enrichir, et que de leur côté, les autres classes de la nation se montrent à peu près satisfaites du lot que leur