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attachés ; à la tête de ces dernières il faut placer le préjugé qui interdisait aux gentilshommes le commerce et l’industrie.

Ce préjugé avait pris naissance au moyen âge, alors que la possession de la terre et le gouvernement des hommes étaient une seule et même chose. Dans ces siècles l’idée de richesse immobilière était intimement unie avec celle de grandeur et de puissance ; l’idée de la richesse purement mobilière rappelait au contraire celle d’infériorité et de faiblesse. Quoique, depuis cette époque, la possession de la terre eût cessé de donner le gouvernement, et que les autres espèces de richesses eussent pris un accroissement prodigieux et une importance toute nouvelle, l’opinion était restée la même, et le préjugé avait survécu aux causes qui l’avaient fait naître.

Il arrivait de là que les familles nobles, exposées comme toutes les autres à des chances de ruine, étaient privées des moyens communs de s’enrichir. La noblesse, prise en corps, s’appauvrissait donc sans cesse ; et après avoir abandonné le chemin direct qui mène au pouvoir, elle quittait encore les routes détournées qui peuvent y conduire.

Non-seulement les nobles ne pouvaient pas s’enrichir eux-mêmes à l’aide du commerce et de l’industrie, mais les mœurs leur défendaient de s’approprier par des alliances la richesse ainsi acquise. Un gentilhomme croyait s’abaisser en épousant la fille d’un riche roturier. Il n’était pas rare cependant de leur voir contracter des unions de cette nature ; car leur fortune décroissait plus vite