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les cœurs par l’espérance ; ne pouvant prendre que dans une certaine mesure fixée invariablement à l’avance, ils faisaient naître la haine et n’excitaient point la crainte.

Indépendamment de ses droits productifs, la noblesse française avait conservé un très-grand nombre de distinctions purement honorifiques ; c’étaient des titres, de certaines places marquées dans les lieux publics, le port de certains costumes et de certaines armes. Une partie de ces priviléges avait été jadis les appendices naturels de sa puissance ; les autres étaient nés depuis l’affaiblissement de cette puissance, et comme une compensation de sa perte ; les uns et les autres ne servaient point et pouvaient nuire.

Lorsqu’on a abandonné la réalité du pouvoir, c’est jouer un jeu dangereux que de vouloir en retenir les apparences ; l’aspect extérieur de la vigueur peut quelquefois soutenir un corps débile, mais le plus souvent il achève de l’accabler. On semble encore assez grand pour être haï, et l’on n’est plus assez fort pour se défendre des atteintes de la haine. Les puissances qui ne font que de naître et celles qui décroissent, doivent plutôt se soustraire aux droits honorifiques que les rechercher. Il n’y a qu’un pouvoir fermement établi et parvenu à la virilité qui puisse s’en permettre l’usage.

Ce que j'ai dit des lois et des usages peut s’étendre également aux opinions.

Les nobles modernes avaient abandonné la plupart des idées de leurs ancêtres, mais parmi elles il en était plusieurs très-nuisibles auxquelles ils s’étaient opiniâtrement