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verain, s’il avait pu le faire comme l’assemblée nationale… Mais l’assemblée, victorieuse à l’aide du peuple, se trouve singulièrement embarrassée et faible en présence de l’anarchie et des crimes populaires, elle ménage, mème dans ses plus grands excès, la force irrégulière qui vient de la sauver. On la voit perdre son temps à faire des scrutins… L’horrible meurtre de Foulon et de Berthier de Sauvigny ne peut la tirer de son inaction ; plus de dix jours se sont écoulés et elle n’a pas encore voté l’adresse timide qu’on lui propose pour recommander la modération au peuple. C’est là la plus grande faute, on pourrait dire le plus grand crime de l’assemblée constituante ; de ce jour elle était destinée à obéir et non à commander ; le peuple de Paris devenait le souverain. Le pouvoir n’avait fait que passer un moment à elle pour arriver à lui. Elle avait alors une autorité morale immense ; elle semblait unanime ; elle portait de tous les côtés sur la nation ; si elle avait senti sa force et son poids, elle eût tout à la fois fait face à la royauté et au peuple, et gardé dans ses mains la direction de la révolution. Assurément la majorité le voulait, mais il lui manquait la vue claire des conséquences des événements, que donne l’expérience des révolutions populaires, et la sûreté de main que procure seule la longue pratique des affaires. Elle manquait de forces organisées et disciplinées comme les classes elles-mêmes qu’elle représentait. Elle ne ressemblait en rien à ce parlement anglais de 1688, qui, en même temps qu’il déposait le roi Jacques, empêchait le bas peuple de trancher les questions avant qu’il les eût résolues lui-même, faisait et ne permettait pas d’émeutes. (Notes prises sur la lecture de la correspondance des députés de l’Anjou.)

…Une fois dans la Constituante, montrer la justesse de ses vues générales, la grandeur vraie de ses desseins, la générosité, la hauteur de ses sentiments, l’union ad-