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ministration publique pour ne viser qu'aux grandes charges de l’État, la noblesse française avait montré qu’elle tenait plus aux apparences de la puissance qu’à la puissance elle-même. L’action du gouvernement central ne se fait sentir que de loin en loin et avec peine aux particuliers. La politique extérieure, les lois générales n’exercent qu’une influence détournée et souvent invisible sur la condition et le bien-être de chaque citoyen. L’administration locale les rencontre tous les jours ; elle les touche sans cesse dans les endroits les plus sensibles ; elle influe sur tous les petits intérêts dont se forme le grand intérêt qu’on porte à la vie ; elle est l'objet principal de leurs craintes ; elle attire à elle leurs principales espérances ; elle les attache par mille liens invisibles qui les entraînent à leur insu. C’est en gouvernant les villages qu’une aristocratie établit les fondements du pouvoir qui lui sert ensuite à diriger tout l’État.

Heureusement pour les aristocraties qui existent encore, la puissance qui cherche à les détruire ne connaît guère mieux qu’elles ce secret de leur pouvoir. Pour moi, si j’aspirais à détruire dans quelque pays une aristocratie puissante, je ne m’efforcerais point de chasser d’auprès du trône ses représentants ; je ne me hâterais point de l'attaquer dans ses plus brillantes prérogatives ; je n’irais point tout d'abord lui contester ses grands pouvoirs législatifs ; mais je l’éloignerais de la demeure du pauvre, je lui défendrais d’influer sur les intérêts journaliers des citoyens, je lui permettrais plutôt de participer à la confection des loi générales de l’État que de