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QUINZE JOURS AU DÉSERT.

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sants tombaient avec une singulière roideur sur leurs cous et sur leurs épaules. Leurs bouches étaient en général démesurément grandes, l’expression de leur figure ignoble et méchante. Leur physionomie annonçait cette profonde dépravation qu’un long abus des bienfaits de la civilisation peut seul donner. On eût dit des hommes appartenant à la dernière populace de nos grandes villes d’Europe, et cependant c’étaient encore des sauvages. Aux vices qu’ils tenaient de nous se mêlait quelque chose de barbare et d’incivilisé qui les rendait cent fois plus repoussants encore. Ces Indiens ne portaient pas d’armes, ils étaient couverts de vêtements européens mais ils ne s’en servaient pas de la même manière que nous. On voyait qu’ils n’étaient point familiarisés à leur usage et qu’ils se trouvaient comme emprisonnés dans leurs replis. Aux ornements de l’Europe ils joignaient les produits d’un luxe barbare, des plumes, d’énormes boucles d’oreilles et des colliers de coquillages. Les mouvements de ces hommes étaient rapides et désordonnés, leur voix aiguë et discordante, leur regard inquiet et sauvage. Au premier abord, on eût été tenté de ne voir dans chacun d’eux qu’une bête des forêts à laquelle l’éducation avait bien pu donner l’apparence d’un homme, mais qui n’en était pas moins resté un animal. Ces êtres faibles et dépravés appartenaient cependant à l’une des tribus les plus renommées de l’ancien monde américain. Nous avions devant nous, et c’est pitié de le dire, les derniers restes de cette célèbre confédération des Iroquois dont la mâle sagesse n’était pas