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QUINZE JOURS AU DÉSERT. 177

Cette incroyable destruction, cet accroissement plus surprenant encore, lui paraissent la marche habituelle des événements de ce monde. Il s’y accoutume comme à l’ordre immuable de la nature.

C’est ainsi que, toujours en quête des sauvages et du désert, nous parcourûmes les trois cent soixante milles qui séparent New-York de Buffalo.

Le premier objet qui frappa notre vue fut un grand nombre d’Indiens qui s’étaient réunis ce jour-là à Buffalo pour recevoir le paiement des terres qu’ils ont livrées aux États-Unis.

Je ne crois pas avoir jamais éprouvé un désappointement plus complet qu’à la vue de ces Indiens. J’étais plein des souvenirs de M. de Chateaubriand et de Cooper, et je m’attendais à voir, dans les indigènes de l’Amérique ; des sauvages sur la figure desquels la nature aurait laissé la trace de quelques-unes de ces vertus hautaines qu’enfante l’esprit de liberté. Je croyais rencontrer en eux des hommes dont le corps avait été développé par la chasse et la guerre, et qui ne perdaient rien à être vus dans leur nudité. On peut juger de mon étonnement en rapprochant ce portrait de celui qui va suivre. Les Indiens que je vis ce jour-là avaient une petite stature ; leurs membres, autant qu’on en pouvait juger sous leurs vêtements, étaient grêles leur peau, au lieu de présenter une teinte de rouge cuivré, comme on le croit communément, était bronze foncé, de telle sorte qu’au premier abord elle semblait se rapprocher beaucoup de celle des mulâtres. Leurs cheveux noirs et lui-