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cipes, ennemie des signes extérieurs et de la pompe des cérémonies, est naturellement peu favorable aux beaux-arts, et ne permet qu’à regret les plaisirs littéraires.

Les Américains sont un peuple très-ancien et très-éclairé, qui a rencontré un pays nouveau et immense dans lequel il peut s’étendre à volonté, et qu’il féconde sans peine. Cela est sans exemple dans le monde. En Amérique, chacun trouve donc des facilités, inconnues ailleurs, pour faire sa fortune ou pour l’accroître. La cupidité y est toujours en haleine, et l’esprit humain, distrait à tout moment des plaisirs de l’imagination et des travaux de l’intelligence, n’y est entraîné qu’à la poursuite de la richesse. Non seulement on voit aux États-Unis, comme dans tous les autres pays, des classes industrielles et commerçantes, mais, ce qui ne s’était jamais rencontré, tous les hommes s’y occupent à la fois d’industrie et de commerce.

Je suis cependant convaincu que si les Américains avaient été seuls dans l’univers, avec les libertés et les lumières acquises par leurs pères, et les passions qui leur étaient propres, ils n’eussent point tardé à découvrir qu’on ne saurait faire longtemps des progrès dans la pratique des sciences sans cultiver la théorie ; que tous les arts se perfectionnent les uns par les autres, et, quelque absorbés qu’ils eussent pu être dans la poursuite de l’objet principal de leurs désirs, ils auraient bientôt reconnu qu’il fallait, de temps en temps, s’en détourner pour mieux l’atteindre.

Le goût des plaisirs de l’esprit est d’ailleurs si natu-