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périr ; nous apprenons que c’est par là en effet que débute ordinairement le pionnier. Ne pouvant, durant la première année, couper tous les arbres qui garnissent sa nouvelle propriété, il sème du maïs sous leurs branches et, en les frappant de mort, il les empêche de porter ombre à sa récolte. Après ce champ, ébauche incomplète, premier pas de la civilisation dans le désert, nous apercevons tout à coup la cabane du propriétaire ; elle est placée au centre d’un terrain plus soigneusement cultivé que le reste, mais où l’homme soutient encore cependant une lutte inégale contre la forêt ; là les arbres sont coupés mais non arrachés, leurs troncs garnissent encore et embarrassent le terrain qu’ils ombrageaient autrefois. Autour de ces débris desséchés, du blé, des rejetons de chênes, de plantes de toutes espèces, des herbes de toute nature croissent pêle-mêle et grandissent ensemble sur un sol indocile et à demi sauvage. C’est au milieu de cette végétation vigoureuse et variée que s’élève la maison du pionnier, ou comme on l’appelle dans le pays, la log-house. Ainsi que le champ qui l’entoure, cette demeure rustique annonce une œuvre nouvelle et précipitée ; sa longueur ne nous paraît pas excéder trente pieds, sa hauteur quinze ; ses murs ainsi que le toit sont formés de troncs d’arbres non équarris, entre lesquels on a placé de la mousse et de la terre pour empêcher le froid et la pluie de pénétrer dans l’intérieur.

La nuit approchant, nous nous déterminons à aller demander un asile au propriétaire de la log-house.

Au bruit de nos pas, des enfants qui se roulaient au milieu des débris de la forêt se lèvent précipitamment et fuient vers la maison comme effrayés à la vue d’un homme, tandis que deux gros chiens à demi sauvages, les oreilles droites et le museau allongé, sortent de leur cabane et viennent en grommelant couvrir la retraite de leurs jeunes maîtres. Le pionnier paraît lui-même à la porte de sa demeure ; il jette sur nous un regard rapide et scrutateur, fait signe à ses chiens de rentrer au logis, il leur en donne lui-même l’exemple sans témoigner que notre vue excite sa curiosité ou son inquiétude.

Nous entrons dans la log-house : l’intérieur n’y rappelle point les cabanes des paysans d’Europe ; on y trouve plus le superflu et moins le nécessaire.