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contre la puissance organisée qui l'attaque ; je sais qu'on peut rendre le péril moindre en créant des libertés et par conséquent des existences provinciales ; mais ce remède sera toujours insuffisant.

Non-seulement la population ne pourra plus alors continuer la guerre, mais il est à craindre qu'elle ne veuille pas le tenter.

D'après le droit des gens adopté par les nations civilisées, les guerres n'ont pas pour but de s'approprier les biens des particuliers, mais seulement de s'emparer du pouvoir politique. On ne détruit la propriété privée que par occasion et pour atteindre le second objet.

Lorsqu'une nation aristocratique est envahie après la défaite de son armée, les nobles, quoiqu'ils soient en même temps les riches, aiment mieux continuer individuellement à se défendre que de se soumettre ; car, si le vainqueur restait maître du pays, il leur enlèverait leur pouvoir politique, auquel ils tiennent plus encore qu'à leurs biens : ils préfèrent donc les combats à la conquête, qui est pour eux le plus grand des malheurs, et ils entraînent aisément avec eux le peuple, parce que le peuple a contracté le long usage de les suivre et de leur obéir, et n'a d'ailleurs presque rien à risquer dans la guerre.

Chez une nation où règne l'égalité des conditions, chaque citoyen ne prend, au contraire, qu'une petite part au pouvoir politique, et souvent n'y prend point de part ; d'un autre côté, tous sont indépendants et ont des biens à perdre ; de telle sorte qu'on y craint bien moins la conquête et