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De même que l'officier, le sous-officier a rompu dans sa pensée tous les liens qui l'attachaient à la société civile ; de même que lui, il a fait de l'état militaire sa carrière, et, plus que lui peut-être, il a dirigé de ce seul côté tous ses désirs ; mais il n'a pas encore atteint comme l'officier un point élevé et solide où il lui soit loisible de s'arrêter et de respirer à l'aise, en attendant qu'il puisse monter plus haut.

Par la nature même de ses fonctions qui ne saurait changer, le sous-officier est condamné à mener une existence obscure, étroite, malaisée et précaire. Il ne voit encore de l'état militaire que les périls. Il n'en connaît que les privations et l'obéissance, plus difficiles à supporter que les périls. Il souffre d'autant plus de ses misères présentes, qu'il sait que la constitution de la société et celle de l'armée lui permettent de s'en affranchir ; d'un jour à l'autre, en effet, il peut devenir officier. Il commande alors, il a des honneurs, de l'indépendance, des droits, des jouissances ; non-seulement cet objet de ses espérances lui paraît immense, mais avant que de le saisir, il n'est jamais sûr de l'atteindre. Son grade n'a rien d'irrévocable ; il est livré chaque jour tout entier à l'arbitraire de ses chefs ; les besoins de la discipline exigent impérieusement qu'il en soit ainsi. Une faute légère, un caprice, peuvent toujours lui faire perdre, en un moment, le fruit de plusieurs années de travaux et d'efforts. Jusqu'à ce qu'il soit arrivé au grade qu'il convoite, il n'a donc rien fait. Là seulement il semble entrer dans la carrière. Chez un homme ainsi aiguillonné