Lorsqu’on a acquis la confiance d’un peuple démocratique, c’est encore une grande affaire que d’obtenir son attention. Il est très-difficile de se faire écouter des hommes qui vivent dans les démocraties, lorsqu’on ne les entretient point d’eux-mêmes. Ils n’écoutent pas les choses qu’on leur dit, parce qu’ils sont toujours fort préoccupés des choses qu’ils font.
Il se rencontre, en effet, peu d’oisifs chez les nations démocratiques. La vie s’y passe au milieu du mouvement et du bruit, et les hommes y sont si employés à agir, qu’il leur reste peu de temps pour penser. Ce que je veux remarquer surtout, c’est que non seulement ils sont occupés, mais que leurs occupations les passionnent. Ils sont perpétuellement en action, et chacune de leurs
entre l'égalité complète de tous les citoyens et la séparation absolue des classes.
Sous le régime des castes, les générations se succèdent sans que les hommes changent de place ; les uns n'attendent rien de plus, et les autres n'espèrent rien de mieux. L'imagination s'endort au milieu de ce silence et de cette immobilité universelle, et l'idée même du mouvement ne s'offre plus à l'esprit humain.
Quand les classes ont été abolies et que les conditions sont devenues presque égales, tous les hommes s'agitent sans cesse, mais chacun d'eux est isolé, indépendant et faible. Ce dernier état diffère prodigieusement du premier ; cependant il lui est analogue en un point. Les grandes révolutions de l'esprit humain y sont fort rares.
Mais entre ces deux extrémités de l'histoire des peuples, se rencontre un âge intermédiaire, époque glorieuse et troublée, où les conditions ne sont plus assez fixes pour que l'intelligence sommeille, et où elles sont assez inégales pour que les hommes exercent un très-grand pouvoir sur l'esprit les uns des autres, et que quelques uns puissent modifier les croyances de tous. C'est alors que les puissants réformateurs s'élèvent, et que de nouvelles idées changent tout à coup la face du monde.