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infiniment moins en faveur aux États-Unis que dans les grandes monarchies de l'Europe. Si quelques hommes les professent, la masse les repousse avec une sorte d'horreur instinctive.

Je ne crains pas de dire que la plupart des maximes qu'on a coutume d'appeler démocratiques en France seraient proscrites par la démocratie des États-Unis. Cela se comprend aisément. En Amérique on a des idées et des passions démocratiques ; en Europe nous avons encore des passions et des idées révolutionnaires.

Si l'Amérique éprouve jamais de grandes révolutions, elles seront amenées par la présence des noirs sur le sol des États-Unis ; c'est-à-dire que ce ne sera pas l'égalité des conditions, mais au contraire leur inégalité qui les fera naître.

Lorsque les conditions sont égales, chacun s'isole volontiers en soi-même et oublie le public. Si les législateurs des peuples démocratiques ne cherchaient point à corriger cette funeste tendance ou la favorisaient, dans la pensée qu'elle détourne les citoyens des passions politiques et les écarte ainsi des révolutions, il se pourrait qu'ils finissent eux-mêmes par produire le mal qu'ils veulent éviter, et qu'il arrivât un moment où les passions désordonnées de quelques hommes, s'aidant de l'égoïsme inintelligent et de la pusillanimité du plus grand nombre, finissent par contraindre le corps social à subir d'étranges vicissitudes.

Dans les sociétés démocratiques, il n'y a guère que de