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a toujours dirigé par lui-même les affaires publiques, et nous sommes un peuple démocratique qui, pendant longtemps, n’a pu que songer à la meilleure manière de les conduire.

Notre état social nous portait déjà à concevoir des idées très-générales en matière de gouvernement, alors que notre constitution politique nous empêchait encore de rectifier ces idées par l’expérience, et d’en découvrir peu à peu l’insuffisance : tandis que chez les Américains ces deux choses se balancent sans cesse et se corrigent naturellement.

Il semble, au premier abord, que ceci soit fort opposé à ce que j’ai dit précédemment que les nations démocratiques puisaient dans les agitations même de leur vie pratique l’amour qu’elles montrent pour les théories. Un examen plus attentif fait découvrir qu’il n’y a là rien de contradictoire.

Les hommes qui vivent dans les pays démocratiques sont fort avides d’idées générales parce qu’ils ont peu de loisirs et que ces idées les dispensent de perdre leur temps à examiner les cas particuliers ; cela est vrai, mais ne doit s’entendre que des matières qui ne sont pas l’objet habituel et nécessaire de leurs pensées. Des commerçants saisiront avec empressement et sans y regarder de fort près toutes les idées générales qu’on leur présentera relativement à la philosophie, à la politique, aux sciences et aux arts ; mais ils ne recevront qu’après examen celles qui auront trait au commerce, et ne les admettront que sous réserve.