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au monde ! » J’admire la liberté dont jouissent ses habitants, et il me répond : « C’est un don précieux que la liberté ! mais il y a bien peu de peuples qui soient dignes d’en jouir. » Je remarque la pureté de mœurs qui règne aux États-Unis : « Je conçois, dit-il, qu’un étranger, qui a été frappé de la corruption qui se fait voir chez toutes les autres nations, soit étonné à ce spectacle. » Je l’abandonne enfin à la contemplation de lui-même ; mais il revient à moi et ne me quitte point qu’il ne soit parvenu à me faire répéter ce que je viens de lui dire. On ne saurait imaginer de patriotisme plus incommode et plus bavard. Il fatigue ceux même qui l’honorent.

Il n’en est point ainsi des Anglais. L’Anglais jouit tranquillement des avantages réels ou imaginaires qu’à ses yeux son pays possède. S’il n’accorde rien aux autres nations, il ne demande rien non plus pour la sienne. Le blâme des étrangers ne l’émeut point et leur louange ne le flatte guère. Il se tient vis-à-vis du monde entier dans une réserve pleine de dédain et d’ignorance. Son orgueil n’a pas besoin d’aliment ; il vit sur lui-même.

Que deux peuples sortis depuis peu d’une même souche se montrent si opposés l’un à l’autre, dans la manière de sentir et de parler, cela est remarquable.

Dans les pays aristocratiques, les grands possèdent d’immenses priviléges, sur lesquels leur orgueil se repose, sans chercher à se nourrir des menus avantages qui s’y rapportent. Ces priviléges leur étant arrivés par héritage, ils les considèrent, en quelque sorte, comme une