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Dans la famille aristocratique, l’aîné des fils, héritant de la plus grande partie des biens et de presque tous les droits, devient le chef et jusqu’à un certain point le maître de ses frères. À lui la grandeur et le pouvoir ; à eux la médiocrité et la dépendance. Toutefois, on aurait tort de croire que, chez les peuples aristocratiques, les priviléges de l’aîné ne fussent avantageux qu’à lui seul, et qu’ils n’excitassent autour de lui que l’envie et la haine.

L’aîné s’efforce d’ordinaire de procurer la richesse et le pouvoir à ses frères, parce que l’éclat général de la maison rejaillit sur celui qui la représente ; et les cadets cherchent à faciliter à l’aîné toutes ses entreprises, parce que la grandeur et la force du chef de la famille le met de plus en plus en état d’en élever tous les rejetons.

Les divers membres de la famille aristocratique sont donc fort étroitement liés les uns aux autres ; leurs intérêts se tiennent, leurs esprits sont d’accord ; mais il est rare que leurs cœurs s’entendent.

La démocratie attache aussi les frères les uns aux autres ; mais elle s’y prend d’une autre manière.

Sous les lois démocratiques, les enfants sont parfaitement égaux, par conséquent indépendants ; rien ne les rapproche forcément, mais aussi rien ne les écarte ; et comme ils ont une origine commune, qu’ils s’élèvent sous le même toit, qu’ils sont l’objet des mêmes soins, et qu’aucune prérogative particulière ne les distingue ni ne les sépare, on voit aisément naître parmi eux la douce et juvénile intimité du premier âge. Le lien ainsi formé