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Je pense que dans les pays démocratiques aussi bien que dans les aristocraties, il se rencontrera des propriétaires et des fermiers ; mais les propriétaires et les fermiers n’y seront pas liés de la même manière.

Dans les aristocraties, les fermages ne s’acquittent pas seulement en argent, mais en respect, en affection et en services. Dans les pays démocratiques, ils ne se paient qu’en argent. Quand les patrimoines se divisent et changent de mains, et que la relation permanente qui existait entre les familles et la terre disparaît, ce n’est plus qu’un hasard qui met en contact le propriétaire et le fermier. Ils se joignent un moment pour débattre les conditions du contrat, et se perdent ensuite de vue. Ce sont deux étrangers que l’intérêt rapproche et qui discutent rigoureusement entre eux une affaire, dont le seul sujet est l’argent.

À mesure que les biens se partagent, et que la richesse se disperse çà et là sur toute la surface du pays, l’État se remplit de gens dont l’opulence ancienne est en déclin, et de nouveaux enrichis dont les besoins s’accroissent plus vite que les ressources. Pour tous ceux-là, le moindre profit est de conséquence, et nul d’entre eux ne se sent disposé à laisser échapper aucun de ses avantages, ni à perdre une portion quelconque de son revenu.

Les rangs se confondant, et les très-grandes ainsi que les très-petites fortunes devenant plus rares, il se trouve chaque jour moins de distance entre la condition sociale du propriétaire et celle du fermier ; l’un n’a