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pations communes ; ils n’ont presque jamais d’intérêts communs.

Chez ces peuples, le serviteur se considère toujours comme un passant dans la demeure de ses maîtres. Il n’a pas connu leurs aïeux ; il ne verra pas leurs descendants ; il n’a rien à en attendre de durable. Pourquoi confondrait-il son existence avec la leur, et d’où lui viendrait ce singulier abandon de lui-même ? La position réciproque est changée : les rapports doivent l’être.

Je voudrais pouvoir m’appuyer dans tout ce qui précède de l’exemple des Américains ; mais je ne saurais le faire sans distinguer avec soin les personnes et les lieux.

Au sud de l’Union l’esclavage existe. Tout ce que je viens de dire ne peut donc s’y appliquer.

Au nord la plupart des serviteurs sont des affranchis ou des fils d’affranchis. Ces hommes occupent dans l’estime publique une position contestée : la loi les rapproche du niveau de leur maître ; les mœurs les en repoussent obstinément. Eux-mêmes ne discernent pas clairement leur place, et ils se montrent presque toujours insolents ou rampants.

Mais, dans ces mêmes provinces du nord, particulièrement dans la Nouvelle-Angleterre, on rencontre un assez grand nombre de blancs qui consentent, moyennant salaire, à se soumettre passagèrement aux volontés de leurs semblables. J’ai entendu dire que ces serviteurs remplissent d’ordinaire les devoirs de leur état avec exactitude et intelligence, et que, sans se croire naturelle-