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de rechercher avec ardeur la compagnie de quelques uns de ses concitoyens, il se figure difficilement qu’on repousse la sienne ; ne méprisant personne à raison de la condition, il n’imagine point que personne le méprise pour la même cause, et jusqu’à ce qu’il ait aperçu clairement l’injure, il ne croit pas qu’on veuille l’outrager.

L’état social dispose naturellement les Américains à ne point s’offenser aisément dans les petites choses. Et d’une autre part, la liberté démocratique dont ils jouissent, achève de faire passer cette mansuétude dans les mœurs nationales.

Les institutions politiques des États-Unis mettent sans cesse en contact les citoyens de toutes les classes, et les forcent de suivre en commun de grandes entreprises. Des gens ainsi occupés n’ont guère le temps de songer aux détails de l’étiquette, et ils ont d’ailleurs trop d’intérêt à vivre d’accord, pour s’y arrêter. Ils s’accoutument donc aisément à considérer dans ceux avec lesquels ils se rencontrent, les sentiments et les idées, plutôt que les manières, et ils ne se laissent point émouvoir pour des bagatelles.

J’ai remarqué bien des fois qu’aux États-Unis, ce n’est point une chose aisée que de faire entendre à un homme que sa présence importune. Pour en arriver là, les voies détournées ne suffisent point toujours.

Je contredis un Américain à tout propos, afin de lui faire sentir que ses discours me fatiguent ; et à chaque instant je lui vois faire de nouveaux efforts pour me convaincre ; je garde un silence obstiné, et il s’imagine