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opulent qu’on le suppose, est presque toujours mécontent de sa fortune parce qu’il se trouve moins riche que son père, et qu’il craint que ses fils le soient moins que lui. La plupart des riches des démocraties rêvent donc sans cesse aux moyens d’acquérir des richesses, et ils tournent naturellement leurs yeux vers le commerce et l’industrie, qui leur paraissent les moyens les plus prompts et les plus puissants de se les procurer. Ils partagent sur ce point les instincts du pauvre sans avoir ses besoins, ou plutôt ils sont poussés par le plus impérieux de tous les besoins : celui de ne pas déchoir.

Dans les aristocraties, les riches sont en même temps les gouvernants. L’attention qu’ils donnent sans cesse à de grandes affaires publiques les détourne des petits soins que demandent le commerce et l’industrie. Si la volonté de quelqu’un d’entre eux se dirige néanmoins par hasard vers le négoce, la volonté du corps vient aussitôt lui barrer la route ; car on a beau se soulever contre l’empire du nombre, on n’échappe jamais complétement à son joug, et, au sein même des corps aristocratiques qui refusent le plus opiniâtrement de reconnaître les droits de la majorité nationale, il se forme une majorité particulière qui gouverne[1].(note)

Dans les pays démocratiques, où l’argent ne conduit pas au pouvoir celui qui le possède, mais souvent l’en écarte, les riches ne savent que faire de leurs loisirs. L’inquiétude et la grandeur de leurs désirs, l’étendue de

  1. Voir la note à la fin du volume.