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petites passions particulières de tous les jours, qu’on peut arriver à satisfaire la passion générale du bonheur, qui tourmente.

La tâche des gouvernants n’est pas moins tracée.

Dans tous les temps il importe que ceux qui dirigent les nations se conduisent en vue de l’avenir. Mais cela est plus nécessaire encore dans les siècles démocratiques et incrédules que dans tous les autres. En agissant ainsi, les chefs des démocraties font non seulement prospérer les affaires publiques, mais ils apprennent encore, par leur exemple, aux particuliers l’art de conduire les affaires privées.

Il faut surtout qu’ils s’efforcent de bannir autant que possible le hasard du monde politique.

L’élévation subite et imméritée d’un courtisan, ne produit qu’une impression passagère dans un pays aristocratique, parce que l’ensemble des institutions et des croyances, forcent habituellement les hommes à marcher lentement dans des voies dont ils ne peuvent sortir.

Mais il n’y a rien de plus pernicieux que de pareils exemples, offerts aux regards d’un peuple démocratique. Ils achèvent de précipiter son cœur sur une pente où tout l’entraîne. C’est donc principalement dans les temps de scepticisme et d’égalité, qu’on doit éviter avec soin que la faveur du peuple, ou celle du prince, dont le hasard vous favorise ou vous prive, ne tienne lieu de la science et des services. Il est à souhaiter que chaque progrès y paraisse le fruit d’un effort, de telle sorte qu’il n’y ait pas de grandeurs trop faciles, et que l’ambition soit for-