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d’avance ces pentes naturelles des sociétés humaines, afin de savoir où il faut aider l’effort des citoyens, et où il serait plutôt nécessaire de le ralentir. Car ses obligations diffèrent suivant les temps. Il n’y a d’immobile que le but vers lequel doit toujours tendre le genre humain ; les moyens de l’y faire arriver varient sans cesse.

Si j’étais né dans un siècle aristocratique, au milieu d’une nation où la richesse héréditaire des uns et la pauvreté irrémédiable des autres, détournassent également les hommes de l’idée du mieux, et tinssent les âmes comme engourdies dans la contemplation d’un autre monde ; je voudrais qu’il me fût possible de stimuler chez un pareil peuple le sentiment des besoins, je songerais à découvrir des moyens plus rapides et plus aisés de satisfaire les nouveaux désirs que j’aurais fait naître, et, détournant vers les études physiques les plus grands efforts de l’esprit humain, je tâcherais de l’exciter à la recherche du bien-être.

S’il arrivait que quelques hommes s’enflammassent inconsidérément à la poursuite de la richesse et fissent voir un amour excessif pour les jouissances matérielles, je ne m’en alarmerais point ; ces traits particuliers disparaîtraient bientôt dans la physionomie commune.

Les législateurs des démocraties ont d’autres soins.

Donnez aux peuples démocratiques des lumières et de la liberté, et laissez-les faire. Ils arriveront sans peine, à retirer de ce monde tous les biens qu’il peut offrir ; ils perfectionneront chacun des arts utiles, et rendront tous