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Les citoyens des États-Unis semblent eux-mêmes si convaincus que ce n’est point pour eux qu’on publie des livres, qu’avant de se fixer sur le mérite d’un de leurs écrivains, ils attendent d’ordinaire qu’il ait été goûté en Angleterre. C’est ainsi, qu’en fait de tableaux on laisse volontiers à l’auteur de l’original le droit de juger la copie.

Les habitants des États-Unis n’ont donc point encore, à proprement parler, de littérature. Les seuls auteurs que je reconnaisse pour Américains sont des journalistes. Ceux-ci ne sont pas de grands écrivains, mais ils parlent la langue du pays et s’en font entendre. Je ne vois dans les autres que des étrangers. Ils sont pour les Américains ce que furent pour nous les imitateurs des Grecs et des Romains à l’époque de la naissance des lettres, un objet de curiosité, non de générale sympathie. Ils amusent l’esprit, et n’agissent point sur les mœurs.

J’ai déjà dit que cet état de choses était bien loin de tenir seulement à la démocratie, et qu’il fallait en rechercher les causes dans plusieurs circonstances particulières et indépendantes d’elle.

Si les Américains, tout en conservant leur état social et leurs lois, avaient une autre origine et se trouvaient transportés dans un autre pays, je ne doute point qu’ils n’eussent une littérature. Tels qu’ils sont, je suis assuré qu’ils finiront par en avoir une ; mais elle aura un caractère différent de celui qui se manifeste dans les écrits américains de nos jours et qui lui sera propre. Il n’est pas impossible de tracer ce caractère à l’avance.