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du nécessaire ; et il estime que le gouverneur de l’État, pourvu de ses deux mille écus, doit encore se trouver heureux et exciter l’envie[1].

Que si vous entreprenez de lui faire entendre que le représentant d’une grande nation doit paraître avec une certaine splendeur aux yeux des étrangers, il vous comprendra tout d’abord ; mais, lorsque, venant à penser à sa simple demeure et aux modestes fruits de son pénible labeur, il songera à tout ce qu’il pourrait exécuter lui-même avec ce même salaire que vous jugez insuffisant, il se trouvera surpris et comme effrayé à la vue de tant de richesses.

Ajoutez à cela que le fonctionnaire secondaire est presque au niveau du peuple, tandis que l’autre le domine. Le premier peut donc encore exciter son intérêt, mais l’autre commence à faire naître son envie.

Ceci se voit bien clairement aux États-Unis, où les salaires semblent en quelque sorte décroître à mesure que le pouvoir des fonctionnaires est plus grand[2]

Sous l’empire de l’aristocratie, il arrive au contraire que les hauts fonctionnaires reçoivent de très grands émoluments, tandis que les petits ont souvent à peine de quoi vivre. Il est facile de trouver la raison de ce fait dans des causes analogues à celles que nous avons indiquées plus haut.

  1. L’État de l’Ohio, qui compte un million d’habitants, ne donne au gouverneur que 1,200 dollars de salaire ou 6,504 francs.
  2. Pour rendre cette vérité sensible aux yeux, il suffit d’examiner les traitements de quelques-uns des agents du gouvernement fédéral. J’ai