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misères comme s’ils les partageaient eux-mêmes ; pourvu que le peuple semble s’accommoder de sa fortune, ils se tiennent donc pour satisfaits et n’attendent rien de plus du gouvernement. L’aristocratie songe à maintenir plus qu’à perfectionner.

Quand, au contraire, la puissance publique est entre les mains du peuple, le souverain cherche partout le mieux parce qu’il se sent mal.

L’esprit d’amélioration s’étend alors à mille objets divers ; il descend à des détails infinis, et surtout il s’applique à des espèces d’améliorations qu’on ne saurait obtenir qu’en payant ; car il s’agit de rendre meilleure la condition du pauvre qui ne peut s’aider lui-même.

Il existe de plus dans les sociétés démocratiques une agitation sans but précis ; il y règne une sorte de fièvre permanente qui se tourne en innovation de tout genre, et les innovations sont presque toujours coûteuses.

Dans les monarchies et dans les aristocraties, les ambitieux flattent le goût naturel qui porte le souverain vers la renommée et vers le pouvoir, et le poussent souvent ainsi à de grandes dépenses.

Dans les démocraties, où le souverain est nécessiteux, on ne peut guère acquérir sa bienveillance qu’en accroissant son bien-être ; ce qui ne peut presque jamais se faire qu’avec de l’argent.

De plus, quand le peuple commence lui-même à réfléchir sur sa position, il lui naît une foule de besoins qu’il n’avait pas ressentis d’abord, et qu’on ne peut satisfaire