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enceinte renferme une grande partie des célébrités de l’Amérique. À peine y aperçoit-on un seul homme qui ne rappelle l’idée d’une illustration récente. Ce sont d’éloquents avocats, des généraux distingués, d’habiles magistrats, ou des hommes d’État connus. Toutes les paroles qui s’échappent de cette assemblée feraient honneur aux plus grands débats parlementaires d’Europe.

D’où vient ce bizarre contraste ? Pourquoi l’élite de la nation se trouve-t-elle dans cette salle plutôt que dans cette autre ? Pourquoi la première assemblée réunit-elle tant d’éléments vulgaires, lorsque la seconde semble avoir le monopole des talents et des lumières ? L’une et l’autre cependant émanent du peuple, l’une et l’autre sont le produit du suffrage universel, et nulle voix, jusqu’à présent, ne s’est élevée en Amérique pour soutenir que le Sénat fût ennemi des intérêts populaires. D’où vient donc une si énorme différence ? je ne vois qu’un seul fait qui l’explique : l’élection qui produit la Chambre des représentants est directe ; celle dont le Sénat émane est soumise à deux degrés. L’universalité des citoyens nomme la législature de chaque État, et la Constitution fédérale, transformant à leur tour chacune de ces législatures en corps électoraux, y puise les membres du Sénat. Les sénateurs expriment donc, quoique indirectement, le résultat du vote universel ; car la législature, qui nomme les sénateurs, n’est point un corps aristocratique ou privilégie qui tire son droit électoral de lui-même ; elle dépend essentiellement de l’universalité des citoyens ; elle est, en général, élue par eux tous