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leur semble qu’ils s’appauvrissent, parce qu’ils ne s’enrichissent pas si vite que leur voisin, et ils croient perdre leur puissance parce qu’ils entrent tout à coup en contact avec une puissance plus grande que la leur[1] : ce sont donc leurs sentiments et leurs passions qui sont blessés plus que leurs intérêts. Mais n’en est-ce point assez pour que la confédération soit en péril ? Si, depuis le commencement du monde, les peuples et les rois n’avaient eu en vue que leur utilité réelle, on saurait à peine ce que c’est que la guerre parmi les hommes.

Ainsi le plus grand danger qui menace les États-Unis naît de leur prospérité même ; elle tend à créer chez plusieurs des confédérés l’enivrement qui accompagne l’augmentation rapide de la fortune, et, chez les autres, l’envie, la méfiance et les regrets qui en suivent le plus souvent la perte.

Les Américains se réjouissent en contemplant ce mouvement extraordinaire ; ils devraient, ce me semble, l’envisager avec regret et avec crainte. Les Américains des États-Unis, quoi qu’ils fassent, deviendront un des plus grands peuples du monde ; ils couvriront de leurs rejetons presque toute l’Amérique du Nord ; le continent

    American Almanac, 1832, p. 162). Or, la Russie, qui est le pays d’Europe où la population croît le plus vite, n’augmente en dix ans le nombre de ses habitants que dans la proportion de 9,5 à 100 ; la France dans celle de 7 à 100, et l’Europe en masse dans celle de 4,7 à 100 (voyez Malte-Brun, vol. VI, p. 95).

  1. Il faut avouer cependant que la dépréciation qui s’est opérée dans le prix du tabac, depuis cinquante ans, a notablement diminué l’aisance des cultivateurs du Sud ; mais ce fait est indépendant de la volonté des hommes du Nord comme de la leur.