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eux les rivalités, l’ambition et les luttes, et de réunir l’action de leurs volontés indépendantes vers l’accomplissement des mêmes desseins.

Mais le plus grand péril que court l’Union en grandissant vient du déplacement continuel de forces qui s’opère dans son sein.

Des bords du lac Supérieur au golfe du Mexique, on compte, à vol d’oiseau, environ quatre cents lieues de France. Le long de cette ligne immense serpente la frontière des États-Unis ; tantôt elle rentre en dedans de ces limites, le plus souvent elle pénètre bien au-delà parmi les déserts. On a calculé que sur tout ce vaste front les Blancs s’avançaient chaque année, terme moyen, de sept lieues[1]. De temps en temps il se présente un obstacle : c’est un district improductif, un lac, une nation indienne qu’on rencontre inopinément sur son chemin. La colonne s’arrête alors un instant ; ses deux extrémités se courbent sur elles-mêmes et, après qu’elles se sont rejointes, on recommence à s’avancer. Il y a dans cette marche graduelle et continue de la race européenne vers les montagnes Rocheuses quelque chose de providentiel : c’est comme un déluge d’hommes qui monte sans cesse et que soulève chaque jour la main de Dieu.

Au-dedans de cette première ligne de conquérants, on bâtit des villes et on fonde de vastes États. En 1790, il se trouvait à peine quelques milliers de pionniers répandus dans les vallées du Mississipi ; aujourd’hui ces mêmes

  1. Voyez Documents législatifs, 20e congrès, No 117, p. 105.