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anglo-américaine. Avant que cent ans se soient écoules, je pense que le territoire occupé ou réclamé par les États-Unis sera couvert par plus de cent millions d’habitants et divisé en quarante États[1].

J’admets que ces cent millions d’hommes n’ont point d’intérêts différents ; je leur donne à tous, au contraire, un avantage égal à rester unis, et je dis que par cela même qu’ils sont cent millions formant quarante nations distinctes et inégalement puissantes, le maintien du gouvernement fédéral n’est plus qu’un accident heureux.

Je veux bien ajouter foi à la perfectibilité humaine ; mais jusqu’à ce que les hommes aient changé de nature et se soient complètement transformés, je refuserai de croire à la durée d’un gouvernement dont la tâche est de tenir ensemble quarante peuples divers répandus sur une surface égale à la moitié de l’Europe[2], d’éviter entre

  1. Si la population continue à doubler en vingt-deux ans, pendant un siècle encore, comme elle a fait depuis deux cents ans, en 1851 on comptera dans les États-Unis vingt-quatre millions d’habitants, quarante-huit en 1874, et quatre-vingt-seize en 1896. Il en serait ainsi quand même on rencontrerait sur le versant oriental des montagnes Rocheuses des terrains qui se refuseraient à la culture. Les terres déjà occupées peuvent très facilement contenir ce nombre d’habitants. Cent millions d’hommes répandus sur le sol occupé en ce moment par les vingt-quatre États et les trois territoires dont se compose l’Union ne donneraient que 762 individus par lieue carrée, ce qui serait encore bien éloigné de la population moyenne de la France, qui est de 1,006 ; de celle de l’Angleterre, qui est de 1,457 ; et ce qui resterait même au-dessous de la population de la Suisse. La Suisse, malgré ses lacs et ses montagnes, compte 783 habitants par lieue carrée. Voyez Malte-Brun, vol. VI, p. 9
  2. Le territoire des États-Unis a une superficie de 295,000 lieues carrées ; celui de l’Europe, suivant Malte-Brun, vol. VI, p. 4, est de 500,000.