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comme peuple indépendant, et cette pensée lui rendait plus aisée l’obéissance à l’autorité fédérale. Mais lorsque l’un des États confédérés compte 2,000,000 d’habitants comme l’État de New York, et couvre un territoire dont la superficie est égale au quart de celle de la France[1], il se sent fort par lui-même, et s’il continue à désirer l’union comme utile à son bien-être, il ne la regarde plus comme nécessaire à son existence ; il peut se passer d’elle ; et, consentant à y rester, il ne tarde pas à vouloir y être prépondérant.

La multiplication seule des membres de l’Union tendrait déjà puissamment à briser le lien fédéral. Tous les hommes placés dans le même point de vue n’envisagent pas de la même manière les mêmes objets. Il en est ainsi à plus forte raison quand le point de vue est différent. À mesure donc que le nombre des républiques américaines augmente, on voit diminuer la chance de réunir l’assentiment de toutes sur les mêmes lois.

Aujourd’hui les intérêts des différentes parties de l’Union ne sont pas contraires entre eux ; mais qui pourrait prévoir les changements divers qu’un avenir prochain fera naître dans un pays où chaque jour crée des villes et chaque lustre des nations ?

Depuis que les colonies anglaises sont fondées, le nombre des habitants y double tous les vingt-deux ans à peu près ; je n’aperçois pas de causes qui doivent d’ici à un siècle arrêter ce mouvement progressif de la population

  1. Superficie de l’État de New-York, 6, 213 lieues carrées (500 milles carrés.) Voyez View of the United States, by Darby, p. 435.