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que la servitude est un mal ; mais ils pensent qu’il faut conserver ce mal pour vivre.

Les lumières, en s’accroissant au Sud, ont fait apercevoir aux habitants de cette partie du territoire que l’esclavage est nuisible au maître, et ces mêmes lumières leur montrent, plus clairement qu’ils ne l’avaient vu jusqu’alors, la presque impossibilité de le détruire. De là un singulier contraste : l’esclavage s’établit de plus en plus dans les lois, à mesure que son utilité est plus contestée ; et tandis que son principe est graduellement aboli dans le Nord, on tire au Midi, de ce même principe, des conséquences de plus en plus rigoureuses.

La législation des États du Sud relative aux esclaves présente de nos jours une sorte d’atrocité inouïe, et qui seule vient révéler quelque perturbation profonde dans les lois de l’humanité. Il suffit de lire la législation des États du Sud pour juger la position désespérée des deux races qui les habitent.

Ce n’est pas que les Américains de cette partie de l’Union aient précisément accru les rigueurs de la servitude ; ils ont, au contraire, adouci le sort matériel des esclaves. Les Anciens ne connaissaient que les fers et la mort pour maintenir l’esclavage ; les Américains du sud de l’Union ont trouvé des garanties plus intellectuelles pour la durée de leur pouvoir. Ils ont, si je puis m’exprimer ainsi, spiritualisé le despotisme et la violence. Dans l’Antiquité, on cherchait à empêcher l’esclave de briser ses fers ; de nos jours, on a entrepris de lui en ôter le désir.