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siècles se sont écoulés depuis le jour où l’habitant de l’Europe entreprit d’enlever les nègres à leur famille et à leur pays pour les transporter sur les rivages de l’Amérique du Nord. Aujourd’hui on rencontre l’Européen occupé à charrier de nouveau à travers l’océan Atlantique les descendants de ces mêmes nègres, afin de les reporter sur le sol d’où il avait jadis arraché leurs pères. Des barbares ont été puiser les lumières de la civilisation au sein de la servitude et apprendre dans l’esclavage l’art d’être libres.

Jusqu’à nos jours, l’Afrique était fermée aux arts et aux sciences des blancs. Les lumières de l’Europe, importées par des Africains, y pénétreront peut-être. Il y a donc une belle et grande idée dans la fondation de Liberia ; mais cette idée, qui peut devenir si féconde pour l’ancien monde, est stérile pour le nouveau.

En douze ans, la Société de colonisation des Noirs a transporté en Afrique deux mille cinq cents nègres. Pendant le même espace de temps, il en naissait environ sept cent mille dans les États-Unis.

La colonie de Liberia fût-elle en position de recevoir chaque année des milliers de nouveaux habitants, et ceux-ci en état d’y être conduits utilement ; l’Union se mît-elle à la place de la Société et employât-elle annuellement ses trésors[1] et ses vaisseaux à exporter des

  1. Il se rencontrerait bien d’autres difficultés encore dans une pareille entreprise. Si l’Union, pour transporter les nègres d’Amérique en Afrique, entreprenait d’acheter les noirs à ceux dont ils sont les esclaves, le prix des nègres, croissant en proportion de leur rareté, s’élèverait bientôt