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celle des blancs dans l’année 1830. Mais cette proportion change sans cesse : chaque jour elle devient plus petite au Nord et plus grande au Sud.

Il est évident que dans les États les plus méridionaux de l’Union, on ne saurait abolir l’esclavage comme on l’a fait dans les États du Nord, sans courir de très grands dangers, que ceux-ci n’ont point eu à redouter.

Nous avons vu comment les États du Nord ménageaient la transition entre l’esclavage et la liberté. Ils gardent la génération présente dans les fers et émancipent les races futures ; de cette manière, on n’introduit les nègres que peu à peu dans la société, et tandis qu’on retient dans la servitude l’homme qui pourrait faire un mauvais usage de son indépendance, on affranchit celui qui, avant de devenir maître de lui-même, peut encore apprendre l’art d’être libre.

Il est difficile de faire l’application de cette méthode au Sud. Lorsqu’on déclare qu’à partir de certaine époque le fils du nègre sera libre, on introduit le principe et l’idée de la liberté dans le sein même de la servitude : les noirs que le législateur garde dans l’esclavage, et qui voient leurs fils en sortir, s’étonnent de ce partage inégal que fait entre eux la destinée ; ils s’inquiètent et s’irritent. Dès lors, l’esclavage a perdu à leurs yeux l’espèce de puissance morale que lui donnaient le temps et la coutume ; il en est réduit à n’être plus qu’un abus visible de la force. Le Nord n’avait rien à craindre de ce contraste, parce qu’au Nord les noirs étaient en petit nombre, et les blancs très nombreux. Mais si cette pre-