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À partir de l’époque où un État du Nord prohibe aussi l’importation des esclaves, on ne retire plus de noirs du Sud pour les transporter dans son sein.

Du moment où un État du Nord défend la vente des nègres, l’esclave ne pouvant plus sortir des mains de celui qui le possède devient une propriété incommode, et on a intérêt à le transporter au Sud.

Le jour où un État du Nord déclare que le fils de l’esclave naîtra libre, ce dernier perd une grande partie de sa valeur vénale ; car sa postérité ne peut plus entrer dans le marché, et on a encore un grand intérêt à le transporter au Sud.

Ainsi la même loi empêche que les esclaves du Sud ne viennent au Nord, et pousse ceux du Nord vers le Sud.

Mais voici une autre cause plus puissante que toutes celles dont je viens de parler.

A mesure que le nombre des esclaves diminue dans un État, le besoin de travailleurs libres s’y fait sentir. À mesure que les travailleurs libres s’emparent de l’industriel, le travail de l’esclave étant moins productif, celui-ci devient une propriété médiocre ou inutile, et on a encore grand intérêt à l’exporter au Sud, où la concurrence n’est pas à craindre.

L’abolition de l’esclavage ne fait donc pas arriver l’esclave à la liberté ; elle le fait seulement changer de maître : du septentrion, il passe au midi.

Quant aux nègres affranchis et à ceux qui naissent après que l’esclavage a été aboli, ils ne quittent point le