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le voit entrer avec audace dans toutes les voies que la fortune lui ouvre ; il devient indifféremment marin, pionnier, manufacturier, cultivateur, supportant avec une égale constance les travaux ou les dangers attachés à ces différentes professions ; il y a quelque chose de merveilleux dans les ressources de son génie, et une sorte d’héroïsme dans son avidité pour le gain.

L’Américain de la rive gauche ne méprise pas seulement le travail, mais toutes les entreprises que le travail fait réussir ; vivant dans une oisive aisance, il a les goûts des hommes oisifs ; l’argent a perdu une partie de sa valeur à ses yeux ; il poursuit moins la fortune que l’agitation et le plaisir, et il porte de ce côté l’énergie que son voisin déploie ailleurs ; il aime passionnément la chasse et la guerre ; il se plaît dans les exercices les plus violents du corps ; l’usage des armes lui est familier, et dès son enfance il a appris à jouer sa vie dans des combats singuliers. L’esclavage n’empêche donc pas seulement les blancs de faire fortune, il les détourne de le vouloir.

Les mêmes causes opérant continuellement depuis deux siècles en sens contraires dans les colonies anglaises de l’Amérique septentrionale, ont fini par mettre une différence prodigieuse entre la capacité commerciale de l’homme du Sud et celle de l’homme du Nord. Aujourd’hui, il n’y a que le Nord qui ait des vaisseaux, des manufactures, des routes de fer et des canaux.

Cette différence se remarque non seulement en comparant le Nord et le Sud, mais en comparant entre eux