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gres et aux blancs de contracter des alliances légitimes ; mais l’opinion déclare infâme le blanc qui s’unirait à une négresse, et il serait très difficile de citer l’exemple d’un pareil fait.

Dans presque tous les États où l’esclavage est aboli, on a donné au nègre des droits électoraux ; mais s’il se présente pour voter, il court risque de la vie. Opprimé, il peut se plaindre, mais il ne trouve que des blancs parmi ses juges. La loi cependant lui ouvre le banc des jurés, mais le préjugé l’en repousse. Son fils est exclu de l’école où vient s’instruire le descendant des Européens. Dans les théâtres, il ne saurait, au prix de l’or, acheter le droit de se placer à côté de celui qui fut son maître ; dans les hôpitaux, il gît à part. On permet au noir d’implorer le même Dieu que les blancs, mais non de le prier au même autel. Il a ses prêtres et ses temples. On ne lui ferme point les portes du Ciel : à peine cependant si l’inégalité s’arrête au bord de l’autre monde. Quand le nègre n’est plus, on jette ses os à l’écart, et la différence des conditions se retrouve jusque dans l’égalité de la mort.

Ainsi le nègre est libre, mais il ne peut partager ni les droits, ni les plaisirs, ni les travaux, ni les douleurs, ni même le tombeau de celui dont il a été déclaré l’égal ; il ne saurait se rencontrer nulle part avec lui, ni dans la vie ni dans la mort.

Au Sud, où l’esclavage existe encore, on tient moins soigneusement les nègres à l’écart ; ils partagent quelquefois les travaux des blancs et leurs plaisirs ; on con-