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On peut juger de la vérité de ce triste tableau par ce qui se passe chez les Creeks et les Chérokées, que j’ai cités.

Ces Indiens, dans le peu qu’ils ont fait, ont assuré-

    sur ceux qui le sont moins se fait remarquer chez les Européens eux-mêmes.

    Des Français avaient fondé, il y a près d’un siècle, au milieu du désert, la ville de Vincennes sur le Wabash. Ils y vécurent dans une grande abondance jusqu’à l’arrivée des émigrants américains. Ceux-ci commencèrent aussitôt à ruiner les anciens habitants par la concurrence ; ils leur achetèrent ensuite leurs terres à vil prix. Au moment où M. de Volney, auquel j’emprunte ce détail, traversa Vincennes, le nombre des Français était réduit à une centaine d’individus, dont la plupart se disposaient à passer à la Louisiane et au Canada. Ces Français étaient des hommes honnêtes, mais sans lumières et sans industrie ; ils avaient contracté une partie des habitudes sauvages. Les Américains, qui leur étaient peut-être inférieurs sous le point de vue moral, avaient sur eux une immense supériorité intellectuelle : ils étaient industrieux, instruits, riches et habitués à se gouverner eux-mêmes.

    J’ai moi-même vu au Canada, où la différence intellectuelle entre les deux races est bien moins prononcée, l’Anglais, maître du commerce et de l’industrie dans le pays du Canadien, s’étendre de tous côtés, et resserrer le Français dans des limites trop étroites.

    De même, à la Louisiane, presque toute l’activité commerciale et industrielle se concentre entre les mains des Anglo-Américains.

    Quelque chose de plus frappant encore se passe dans la province du Texas ; l’État du Texas fait partie, comme on sait, du Mexique, et lui sert de frontière du côté des États-Unis. Depuis quelques années, les Anglo-Américains pénètrent individuellement dans cette province encore mal peuplée, achètent les terres, s’emparent de l’industrie, et se substituent rapidement à la population originaire. On peut prévoir que si le Mexique ne se hâte d’arrêter ce mouvement, le Texas ne tardera pas à lui échapper.

    Si quelques différences, comparativement peu sensibles dans la civilisation européenne, amènent de pareils résultats, il est facile de comprendre ce qui doit arriver quand la civilisation la plus perfectionnée de l’Europe entre en contact avec la barbarie indienne.