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ni leurs habitudes, ni leurs mœurs, en ont sacrifié ce qui était absolument nécessaire à leur existence.

Les Chérokées allèrent plus loin ; ils créèrent une langue écrite, établirent une forme assez stable de gouvernement ; et, comme tout marche d’un pas précipité dans le nouveau monde, ils eurent un journal[1] avant d’avoir tous des habits.

Ce qui a singulièrement favorisé le développement rapide des habitudes européennes chez ces Indiens a été la présence des métis[2]. Participant aux lumières de son père sans abandonner entièrement les coutumes sauvages de sa race maternelle, le métis forme le lien naturel entre la civilisation et la barbarie. Partout où les métis se sont multipliés, on a vu les sauvages modifier peu à peu leur état social et changer leurs mœurs[3].

  1. J’ai rapporté en France un ou deux exemplaires de cette singulière publication.
  2. Voyez dans le rapport du comité des affaires indiennes, 21e congrès, nº 227, p. 23, ce qui fait que les métis se sont multipliés chez les Chérokées ; la cause principale remonte à la guerre de l’indépendance. Beaucoup d’Anglo-Américains de la Géorgie ayant pris parti pour l’Angleterre furent contraints de se retirer chez les Indiens, et s’y marièrent.
  3. Malheureusement les métis ont été en plus petit nombre et ont exercé une moindre influence dans l’Amérique du Nord que partout ailleurs.

    Deux grandes nations de l’Europe ont peuplé cette portion du continent américain : les Français et les Anglais.

    Les premiers n’ont pas tardé à contracter des unions avec les filles des indigènes ; mais le malheur voulut qu’il se trouvât une secrète affinité entre le caractère indien et le leur. Au lieu de donner aux barbares le goût et les habitudes de la vie civilisée, ce sont eux qui souvent se sont attachés avec passion à la vie sauvage : ils sont devenus les hôtes les plus dange-