Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de révolution. En Amérique, cependant, la presse a les mêmes goûts destructeurs qu’en France, et la même violence sans les mêmes causes de colère. En Amérique, comme en France, elle est cette puissance extraordinaire, si étrangement mélangée de biens et de maux, que sans elle la liberté ne saurait vivre, et qu’avec elle l’ordre peut à peine se maintenir.

Ce qu’il faut dire, c’est que la presse a beaucoup moins de pouvoir aux États-Unis que parmi nous. Rien pourtant n’est plus rare dans ce pays que de voir une poursuite judiciaire dirigée contre elle. La raison en est simple : les Américains, en admettant parmi eux le dogme de la souveraineté du peuple, en ont fait l’application sincère. Ils n’ont point eu l’idée de fonder, avec des éléments qui changent tous les jours, des constitutions dont la durée fût éternelle. Attaquer les lois existantes n’est donc pas criminel, pourvu qu’on ne veuille point s’y soustraire par la violence.

Ils croient d’ailleurs que les tribunaux sont impuissants pour modérer la presse, et que la souplesse des langages humains échappant sans cesse à l’analyse judiciaire, les délits de cette nature se dérobent en quelque sorte devant la main qui s’étend pour les saisir. Ils pensent qu’afin de pouvoir agir efficacement sur la presse, il faudrait trouver un tribunal qui, non seulement fût dévoué à l’ordre existant, mais encore pût se placer au-dessus de l’opinion publique qui s’agite autour de lui ; un tribunal qui jugeât sans admettre la publicité, prononçât sans motiver ses arrêts, et punît l’intention plus