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un Indien. Ces sauvages n’ont pas seulement reculé, ils sont détruits[1]. À mesure que les indigènes s’éloignent et meurent, à leur place vient et grandit sans cesse un peuple immense. On n’avait jamais vu parmi les nations un développement si prodigieux, ni une destruction si rapide.

Quant à la manière dont cette destruction s’opère, il est facile de l’indiquer.

Lorsque les Indiens habitaient seuls le désert dont on les exile aujourd’hui, leurs besoins étaient en petit nombre ; ils fabriquaient eux-mêmes leurs armes, l’eau des fleuves était leur seule boisson, et ils avaient pour vêtement la dépouille des animaux dont la chair servait à les nourrir.

Les Européens ont introduit parmi les indigènes de l’Amérique du Nord les armes à feu, le fer et l’eau-de-vie ; ils leur ont appris à remplacer par nos tissus les vêtements barbares dont la simplicité indienne s’était jusque-là contentée, En contractant des goûts nouveaux, les Indiens n’ont pas appris l’art de les satisfaire, et il leur a fallu recourir à l’industrie des Blancs. En retour de ces biens, que lui-même ne savait point créer, le sauvage ne pouvait rien offrir, sinon les riches fourrures que ses bois renfermaient encore. De ce moment, la chasse ne dut pas seulement pourvoir à ses besoins, mais encore aux passions frivoles de l’Europe. Il ne poursuivit plus les bêtes des forêts seulement pour se nourrir,

  1. Dans les treize États originaires, il ne reste plus que 6,373 Indiens. (Voyez Documents législatifs, 20e congrès, nº 117, p. 90.)