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être heureux d’avoir été placés dans un coin de l’univers et de pouvoir s’étendre à volonté sur des terres inhabitées, les Espagnols de l’Amérique méridionale n’auraient pas à se plaindre de leur sort. Et quand ils ne jouiraient point du même bonheur que les habitants des États-Unis, ils devraient du moins se faire envier des peuples de l’Europe. Il n’y a cependant pas sur la terre de nations plus misérables que celles de l’Amérique du Sud.

Ainsi, non seulement les causes physiques ne peuvent amener des résultats analogues chez les Américains du Sud et ceux du Nord, mais elles ne sauraient même produire chez les premiers quelque chose qui ne fût pas inférieur à ce qu’on voit en Europe, où elles agissent en sens contraire.

Les causes physiques n’influent donc pas autant qu’on le suppose sur la destinée des nations.

J’ai rencontré des hommes de la Nouvelle-Angleterre prêts à abandonner une patrie où ils auraient pu trouver l’aisance, pour aller chercher fortune au désert. Près de là, j’ai vu la population française du Canada se presser dans un espace trop étroit pour elle, lorsque le même désert était proche ; et tandis que l’émigrant des États-Unis acquérait avec le prix de quelques journées de travail un grand domaine, le Canadien payait la terre aussi cher que s’il eût encore habité la France.

Ainsi la nature, en livrant aux Européens les solitudes du nouveau monde, leur offre des biens dont ils ne savent pas toujours se servir.