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chesses naturelles du sol. L’Amérique du Nord était encore, à proprement parler, un continent vide, une terre déserte, qui attendait des habitants.

Tout est extraordinaire chez les Américains, leur état social comme leurs lois ; mais ce qui est plus extraordinaire encore, c’est le sol qui les porte.

Quand la terre fut livrée aux hommes par le Créateur, elle était jeune et inépuisable, mais ils étaient faibles et ignorants ; et lorsqu’ils eurent appris à tirer parti des trésors qu’elle renfermait dans son sein, ils en couvraient déjà la face, et bientôt il leur fallut combattre pour acquérir le droit d’y posséder un asile et de s’y reposer en liberté.

C’est alors que l’Amérique du Nord se découvre, comme si Dieu l’eût tenue en réserve et qu’elle ne fît que sortir de dessous les eaux du déluge.

Elle présente, ainsi qu’aux premiers jours de la création, des fleuves dont la source ne tarit point, de vertes et humides solitudes, des champs sans bornes que n’a point encore retournés le soc du laboureur. En cet état, elle ne s’offre plus à l’homme isolé, ignorant et barbare des premiers âges, mais à l’homme déjà maître des secrets les plus importants de la nature, uni à ses semblables, et instruit par une expérience de cinquante siècles.

Au moment où je parle, treize millions d’Européens civilisés s’étendent tranquillement dans des déserts fertiles dont eux-mêmes ne connaissent pas encore exactement les ressources ni l’étendue. Trois ou quatre mille