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versel. Ce sont deux moyens également puissants de faire régner la majorité,

Tous les souverains qui ont voulu puiser en eux-mêmes les sources de leur puissance, et diriger la société au lieu de se laisser diriger par elle, ont détruit l’institution du jury ou l’ont énervée. Les Tudors envoyaient en prison les jurés qui ne voulaient pas condamner, et Napoléon les faisait choisir par ses agents.

Quelque évidentes que soient la plupart des vérités qui précèdent, elles ne frappent point tous les esprits, et souvent, parmi nous, on ne semble encore se faire qu’une idée confuse de l’institution du jury. Veut-on savoir de quels éléments doit se composer la liste des jurés, on se borne à discuter quelles sont les lumières et la capacité de ceux qu’on appelle à en faire partie, comme s’il ne s’agissait que d’une institution judiciaire. En vérité, il me semble que c’est là se préoccuper de la moindre portion du sujet ; le jury est avant tout une institution politique ; on doit le considérer comme un mode de la souveraineté du peuple ; il faut le rejeter entièrement quand on repousse la souveraineté du peuple, ou le mettre en rapport avec les autres lois qui établissent cette souveraineté. Le jury forme la partie de la nation chargée d’assurer l’exécution des lois, comme les Chambres sont la partie de la nation chargée de faire les lois ; et pour que la société soit gouvernée d’une manière fixe et uniforme, il est nécessaire que la liste des jurés s’étende ou se resserre avec celle des électeurs. C’est ce point de vue qui, suivant moi, doit toujours attirer l’at-