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le magistrat américain pénètre sans cesse dans les affaires politiques[1]. Il ne peut pas forcer le peuple à faire des lois, mais du moins il le contraint à ne point être infidèle à ses propres lois et à rester d’accord avec lui-même.

Je n’ignore pas qu’il existe aux États-Unis une secrète tendance qui porte le peuple à réduire la puissance judiciaire ; dans la plupart des constitutions particulières d’État, le gouvernement, sur la demande de deux Chambres, peut enlever aux juges leur siège. Certaines constitutions font élire les membres des tribunaux et les soumettent à de fréquentes réélections. J’ose prédire que ces innovations auront tôt ou tard des résultats funestes et qu’on s’apercevra un jour qu’en diminuant ainsi l’indépendance des magistrats, on n’a pas seulement attaqué le pouvoir judiciaire, mais la république démocratique elle-même.

Il ne faut pas croire, du reste, qu’aux États-Unis l’esprit légiste soit uniquement renfermé dans l’enceinte des tribunaux ; il s’étend bien au-delà.

Les légistes, formant la seule classe éclairée dont le peuple ne se défie point, sont naturellement appelés à occuper la plupart des fonctions publiques. Ils remplissent les législatures, et sont à la tête des administrations ; ils exercent donc une grande influence sur la formation de la loi et sur son exécution. Les légistes sont pourtant obligés de céder au courant d’opinion

  1. Voyez au premier volume ce que je dis du pouvoir judiciaire.