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de son pays. La majorité se prononça contre sa politique ; maintenant le peuple entier l’approuve[1].

Si la Constitution et la faveur publique n’eussent pas donné à Washington la direction des affaires extérieures de l’État, il est certain que la nation aurait précisément fait alors ce qu’elle condamne aujourd’hui.

Presque tous les peuples qui ont agi fortement sur le monde, ceux qui ont conçu, suivi et exécuté de grands desseins, depuis les Romains jusqu’aux Anglais, étaient dirigés par une aristocratie, et comment s’en étonner ?

Ce qu’il y a de plus fixe au monde dans ses vues, c’est une aristocratie. La masse du peuple peut être séduite par son ignorance ou ses passions ; on peut surprendre l’esprit d’un roi et le faire vaciller dans ses pro-

  1. Voyez le cinquième volume de la Vie de Washington, par Marshall. « Dans un gouvernement constitué comme l’est celui des États-Unis, dit-il, page 314, le premier magistrat ne peut, quelle que soit sa fermeté, opposer longtemps une digue au torrent de l’opinion populaire ; et celle qui prévalait alors semblait mener à la guerre. » En effet, dans la session du Congrès tenu à cette époque, on s’aperçut très fréquemment que Washington avait perdu la majorité dans la chambre des représentants. En dehors, la violence du langage dont on se servait contre lui était extrême : dans une réunion politique, on ne craignit pas de le comparer indirectement au traître Arnold (page 265). « Ceux qui tenaient au parti de l’opposition, dit encore Marshall (page 335), prétendirent que les partisans de l’administration composaient une faction aristocratique qui était soumise à l’Angleterre, et qui, voulant établir la monarchie, était, par conséquent, ennemie de la France ; une faction dont les membres constituaient une sorte de noblesse, qui avait pour titres les actions de la Banque, et qui craignait tellement toute mesure qui pouvait influer sur les fonds, qu’elle était insensible aux affronts que l’honneur et l’intérêt de la nation commandaient également de repousser. »