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les lumières et l’expérience, qui doit souvent manquer à la démocratie. Le peuple sent bien plus qu’il ne raisonne ; et si les maux actuels sont grands, il est à craindre qu’il oublie les maux plus grands qui l’attendent peut-être en cas de défaite.

Il y a encore une autre cause qui doit rendre les efforts d’un gouvernement démocratique moins durables que les efforts d’une aristocratie.

Le peuple, non seulement voit moins clairement que les hautes classes ce qu’il peut espérer ou craindre de l’avenir, mais encore il souffre bien autrement qu’elles des maux du présent. Le noble, en exposant sa personne, court autant de chances de gloire que de périls. En livrant à l’État la plus grande partie de son revenu, il se prive momentanément de quelques-uns des plaisirs de la richesse ; mais, pour le pauvre, la mort est sans prestige, et l’impôt qui gêne le riche attaque souvent chez lui les sources de la vie.

Cette faiblesse relative des républiques démocratiques, en temps de crise, est peut-être le plus grand obstacle qui s’oppose à ce qu’une pareille république se fonde en Europe. Pour que la république démocratique subsistât sans peine chez un peuple européen, il faudrait qu’elle s’établît en même temps chez tous les autres.

Je crois que le gouvernement de la démocratie doit, à la longue, augmenter les forces réelles de la société ; mais il ne saurait réunir à la fois, sur un point et dans un temps donné, autant de forces qu’un gouvernement aristocratique ou qu’une monarchie absolue. Si un pays