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intelligence ; contemplez les premiers exemples qui frappent ses regards ; écoutez les premières paroles qui éveillent chez lui les puissances endormies de la pensée ; assistez enfin aux premières luttes qu’il a à soutenir ; et alors seulement vous comprendrez d’où viennent les préjugés, les habitudes et les passions qui vont dominer sa vie. L’homme est pour ainsi dire tout entier dans les langes de son berceau.

Il se passe quelque chose d’analogue chez les nations. Les peuples se ressentent toujours de leur origine. Les circonstances qui ont accompagné leur naissance et servi à leur développement influent sur tout le reste de leur carrière.

S’il nous était possible de remonter jusqu’aux éléments des sociétés, et d’examiner les premiers monuments de leur histoire, je ne doute pas que nous ne pussions y découvrir la cause première des préjugés, des habitudes, des passions dominantes, de tout ce qui compose enfin ce qu’on appelle le caractère national ; il nous arriverait d’y rencontrer l’explication d’usages qui, aujourd’hui, paraissent contraires aux mœurs régnantes ; de lois qui semblent en opposition avec les principes reconnus ; d’opinions incohérentes qui se rencontrent çà et là dans la société, comme ces fragments de chaînes brisées qu’on voit pendre encore quelquefois aux voûtes d’un vieil édifice, et qui ne soutiennent plus rien. Ainsi s’expliquerait la destinée de certains peuples qu’une force inconnue semble entraîner vers un but qu’eux-mêmes ignorent. Mais jusqu’ici les faits ont manqué à une pa-