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veiller le goût de la littérature et des arts ; l’esprit devient alors un élément de succès ; la science est un moyen de gouvernement, l’intelligence une force sociale ; les lettrés arrivent aux affaires.

À mesure cependant qu’il se découvre des routes nouvelles pour parvenir au pouvoir, on voit baisser la valeur de la naissance. Au onzième siècle, la noblesse était d’un prix inestimable ; on l’achète au treizième ; le premier anoblissement a lieu en 1270, et l’égalité s’introduit enfin dans le gouvernement par l’aristocratie elle-même.

Durant les sept cents ans qui viennent de s’écouler, il est arrivé quelquefois que, pour lutter contre l’autorité royale ou pour enlever le pouvoir à leurs rivaux, les nobles ont donné une puissance politique au peuple.

Plus souvent encore, on a vu les rois faire participer au gouvernement les classes inférieures de l’État, afin d’abaisser l’aristocratie.

En France, les rois se sont montrés les plus actifs et les plus constants des niveleurs. Quand ils ont été ambitieux et forts, ils ont travaillé à élever le peuple au niveau des nobles ; et quand ils ont été modérés et faibles, ils ont permis que le peuple se plaçât au-dessus d’eux-mêmes. Les uns ont aidé la démocratie par leurs talents, les autres par leurs vices. Louis XI et Louis XIV ont pris soin de tout égaliser au-dessous du trône, et Louis XV est enfin descendu lui-même avec sa cour dans la poussière.