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le droit d’administrer ses propres affaires ; droit que nous ne disons pas qui fasse partie de la constitution primitive du royaume, car il remonte bien plus haut : c’est le droit naturel, c’est le droit de la raison. Cependant il a été enlevé à vos sujets, sire, et nous ne craindrons pas de dire que l’administration est tombée à cet égard dans des excès qu’on peut nommer puérils.

« Depuis que des ministres puissants se sont fait un principe politique de ne point laisser convoquer d’assemblée nationale, on en est venu de conséquences en conséquences jusqu’à déclarer nulles les délibérations des habitants d’un village quand elles ne sont pas autorisées par un intendant ; en sorte que, si cette communauté a une dépense à faire, il faut prendre l’attache du subdélégué de l’intendant, par conséquent suivre le plan qu’il a adopté, employer les ouvriers qu’il favorise, les payer suivant son arbitraire ; et si la communauté a un procès à soutenir, il faut aussi qu’elle se fasse autoriser par l’intendant. Il faut que la cause soit plaidée à ce premier tribunal avant d’être portée devant la justice. Et si l’avis de l’intendant est contraire aux habitants, ou si leur adversaire a du crédit à l’intendance, la communauté est déchue de la faculté de défendre ses droits. Voilà, sire, par quels moyens on a travaillé à étouffer en France tout esprit municipal, à éteindre, si on le pouvait, jusqu’aux sentiments de citoyens ; on a pour ainsi dire interdit la nation entière, et on lui a donné des tuteurs. »

Que pourrait-on dire de mieux aujourd’hui, que la révolution française a fait ce qu’on appelle ses conquêtes en matière de centralisation ?

En 1789, Jefferson écrivait de Paris à un de ses amis : « Il n’est pas de pays où la manie de trop gouverner ait pris de plus profondes racines qu’en France, et où elle cause plus de mal. » Lettres à Madisson, 28 août 1789.

La vérité est qu’en France, depuis plusieurs siècles, le pouvoir central a toujours fait tout ce qu’il a pu pour étendre la centralisation administrative ; il n’a jamais eu dans cette carrière d’autres limites que ses forces.

Le pouvoir central né de la révolution française a marché plus avant en ceci qu’aucun de ses prédécesseurs, parce qu’il a été plus fort et plus savant qu’aucun d’eux. Louis XIV soumettait les détails de