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On se convaincra toutefois que cette cause n’est que secondaire, si l’on songe que, depuis l’établissement de la constitution fédérale, la confédération américaine s’est accrue de onze nouveaux États, et que ceux-ci ont presque toujours exagéré plutôt qu’atténué les défauts existants dans les constitutions de leurs devanciers.

La grande cause de la supériorité de la constitution fédérale est dans le caractère même des législateurs.

À l’époque où elle fut formée, la ruine de la confédération paraissait imminente ; elle était pour ainsi dire présente à tous les yeux. Dans cette extrémité le peuple choisit, non pas peut-être les hommes qu’il aimait le mieux, mais ceux qu’il estimait le plus.

J’ai déjà fait observer plus haut que les législateurs de l’Union avaient presque tous été remarquables par leurs lumières, plus remarquables encore par leur patriotisme.

Ils s’étaient tous élevés au milieu d’une crise sociale, pendant laquelle l’esprit de liberté avait eu continuellement à lutter contre une autorité forte et dominatrice. La lutte terminée, et tandis que, suivant l’usage, les passions excitées de la foule s’attachaient encore à combattre des dangers qui depuis longtemps n’existaient plus, eux s’étaient arrêtés ; ils avaient jeté un regard plus tranquille et plus pénétrant sur leur patrie ; ils avaient vu qu’une révolution définitive était accomplie, et que désormais les périls qui menaçaient le peuple ne pouvaient naître que des abus de la liberté. Ce qu’ils pensaient, ils eurent le courage de le dire, parce qu’ils